Le syndrome Morrison

Lettre à mon amoureux de quand j’avais 20 ans

C’est la nuit, une nuit ordinaire pourtant, et voila que je t’extirpe de la brume vaporeuse où tu es englouti depuis longtemps.

Ça arrive de temps en temps, sans raison, sans prévenir, tu te pointes comme un petit insecte têtu qu’on croit avoir chassé et qui sort de sa planque.

Au début, je te sortais souvent de ta boîte de conserve. Beaucoup moins maintenant, on ne peut pas se faire du mal tout le temps, il faut bien s’accorder du calme et de la monotonie. C’est assez chiant, la monotonie, mais ça repose.

Je vois que tu continues à briller. De plus en plus même, c’est curieux. Probablement est-ce lié au fait que les taches sombres sont solubles dans le temps.

Les déceptions, les défaillances, cette fille qui s’appelait Marie, Marie avec son prénom de vierge, sa jolie tête de sainte nitouche que j’aurais bien écrabouillée. Et pour finir le largage de petit salop la veille du départ en vacances, pschitt… Quelle banale médiocrité. C’est presque effacé désormais, c’est bien commode ce lessivage. Abracadabra, et hop, ça part dans la brume.

C’est le versant ensoleillé, l’adret du souvenir qui ressort maintenant, ta belle gueule qui sourit, la vitalité, la joie, les projets qui bouillonnent, les nuits blanches, les belles années. C’est même mieux aujourd’hui, embelli par la sublimation déformante de la réminiscence. Note bien qu’il y a filouterie dans cette affaire, forcément, tu ne vieillis pas, tu restes insolent de jeunesse, comme Jim Morrison figé dans le temps, tandis que le reste du monde a méchamment morflé.

Tu devais partir vivre en Australie dès que possible, pour en écumer les 7 millions de kilomètres carrés. J’imagine que tu t’es posé là-bas, avec des moutons, quelque part dans le bush. Et de temps en temps, si ça se trouve, pourquoi pas, toi aussi tu me sors de ma boîte ensevelie dans ta brume de cerveau.

Si ça se trouve …

Si ça se trouve, tu n’es jamais parti, tu es Inspecteur des Impôts à Loudun. C’est probable. Tu es chauve, gras du bide, tu fais du vélo sur l’Ile de Ré tous les étés, tu roules en Mercédès le reste de l’année, tu fais du squash, tu te vantes de citer plus de 50 marques de bières pour avoir l’air cool, tu lis La Nouvelle République et l’Equipe, tu écoutes Louise Attaque et Léo Ferré en disant c’était mieux avant.

Aucune envie de te revoir finalement, tu m’ennuies déjà. Rentres dans ta boîte tiens. Le petit pincement dans le bide va passer.

Ciao bello, ex amoureux de mes 20 ans, veuille agréer l’expression de mes sentiments mélancoliques

Mollette

PS : merci quand même de ne pas disparaître totalement. La monotonie, c’est bien mais seulement avec une photo de Jim Morrison cachée sous le matelas.

Rien de Tell

Mais surtout pas, jamais de la vie !

Amante d’un marin, plutôt mourir. Le type n’est jamais là, il raconte partout que la femme de sa vie, c’est la mer.

Plus égocentrique qu’un capitaine, t’as quoi ? astronaute peut-être, et encore, les astronautes, au moins, ils sont plus souvent sur terre.

Non merci.

(Et le bateau, moi si j’étais un homme, je ne le prendrais pas vert et blanc, mais c’est un détail)

Mais non enfin ! Quelle idée.

Moi j’attends derrière ma quenouille que tu te décides à organiser un voyage ? C’est clair, à ce compte-là, on ne part jamais.

On ajoute que le plan est bien trop risqué : « Chérie fais tes bagages, on part faire le rallye des pubs anglais en Porsche » Youpi !

Il y a un problème ? T’aime pas les voyages ? T’aimes pas rigoler ? T’aimes pas la bière ?

Justement, j’aime voyager et rire Jean-Michel, c’est ça le problème.

Au secours. Cette personne n’a jamais fait l’amour sur la plage. ÇA GRATTE SA MERE

C’est jouable entre 17 ans et 17 ans et demi, et une seule fois, après tu évites

Non mais tu me prends pour Pretty Woman ou bien ?

Tu as zéro imagination ? Tu as tout misé sur ton compte bancaire ?

Allez, disons que c’est un peu mieux qu’un robot Magimix, on est ½ étage au-dessus.

Peut mieux faire.

Alors là, je ne dis pas non, tu m’intéresses, même un petit studio, même une bicoque je prends.

Par contre, la villa/bicoque on la choisit ensemble. Si possible. Merci de préciser, parce que c’est ambigu là.

De mieux en mieux, un forceur. Je repars à Bergame désolée, c’est moi qui t’appellerai.

(et pitié, ne m’appelle pas mon amour, ni mon chaton, ni mon minou, ni mon cœur, ni mon lapin, ni mon canard, ni aucun autre animal de la ferme en fait)

« Je suis femme et quand on est femme
Ces choses-là ne se font pas
»

Et pourquoi donc Germaine ? Aka Diane Tell, meuf du paléolithique !

Tout le monde se pose la question, POURQUOI ?

Voilà, on y est. On met le doigt (le majeur levé, soyons précis) sur le problème.

Le « romantisme » [se prononce en mangeant des chamallows, les yeux perdus sur la ligne d’horizon avec les poils qui se dressent]. Ou plutôt l’idée que l’on s’en fait.

On a été droguées au romantisme, au prince charmant, à l’amour fou.

Mais la drogue c’est de la merde.

Cette chanson est une chanson de mecs.

La femme est passive, une petite chose qui bat des mains et qui brille des yeux. Elle reçoit les cadeaux, des hommages, elle s’adapte aux clichés, une femme bel objet mais une femme objet quand même. Qui rêve de ça plus de 3 minutes 30, le temps d’une chanson ?

Je suis allée voir qui était le parolier, j’étais sûre à 100% que c’était un homme.

Erreur totale, c’est Diane Tell qui l’a écrite et composée.

Mais qu’est ce qui t’as pris Diane ? Dans quelle galère sentimentale étais tu embarquée ?

Tu as grave merdé mon amie. Ça fait 45 ans qu’on se tape ces clichés éculés. Qu’on est censées être fondues d’amour en entendant ta voix, noyées dans l’eau de rose, nostalgiques de rapports genrés jusqu’à la caricature.

45 ans que des bandes de filles ivres chantent ta foutue chanson en karaoke, la main sur le cœur et les yeux mouillés (pendant un enterrement de vie de jeune fille, tant qu’à faire, puisqu’on a déterré cette antique coutume de l’enfer, tu sais, le karaoke, juste après la séquence strip tease qui a redonné des perspectives professionnelles à des ersatz de Chippendales censés représenter le rite de transgression de la vie d’une femme avant de s’enchaîner à un mari, quelle misère. Mais je m’égare)

Sachant que le mètre étalon du film romantique, sorti 10 ans plus tard, raconte l’histoire d’un homme riche qui s’offre une prostituée pauvre en la couvrant de cadeaux de luxe et qui daigne tomber amoureux d’elle à la fin. Oups.

Le romantisme, c’est à chier, un jour il va falloir prévenir les petites filles.

Bref, on ne te dit pas merci Diane.

Moi si j’étais un homme, j’écrirais une chanson sur l’amour pour remplacer cette daube, une belle chanson qui renverserait tout mais cette fois-ci pour de vrai, un truc autrement romantique, qui ferait vraiment rêver en somme.

Moi si j’étais un homme, je serais féministe 💜

Au bout du compte

Mon cher, très cher,

Tant d’années à se supporter mutuellement, trop sans doute.

Au début, je t’aimais bien. C’est d’ailleurs faux, disons que je ne te détestais pas encore. Je t’ignorais, voilà plutôt le terme, nous vivions ensemble, sans états d’âme, dans une indifférence réciproque paisible.

Je n’allais pas souvent te voir, aucun mépris de ma part je te le jure, juste de l’insouciance.

Tu étais gras, j’étais joyeuse, pourquoi s’en faire ?

Puis j’ai remarqué que tu allais de moins en moins bien. Rien de grave, nous pouvions supporter un peu d’ombre.

Mais tu as pris une teinte rougeâtre, tu as maigri, et tu as commencé à faire la gueule tout le temps.

J’ai fait semblant de ne pas voir, j’ai dit que c’était passager, que tu remonterais la pente, que tu me fatiguais avec tes humeurs, que j’avais le droit de mener ma vie sans trainer un boulet.

Je t’ai négligé, pardon, en même temps tu es si peu aimable, si peu intéressant, c’est difficile de prendre soin de toi.

Au fil des années, je me suis inquiétée, vraiment.

J’ai tenté d’être à la hauteur, je me suis battue pour t’alimenter, pour te redonner des forces.

Peine perdue, tu as continué à dépérir.

Tu t’es bien foutu de moi n’est ce pas, tu m’as regardée m’agiter dans tous les sens sans même faire semblant d’aller mieux, comme un wagon plombé qui suit son rail cassé vers une voie de garage.

Aujourd’hui je vais de moins en moins te voir. Petite chose misérable qui se dresse sur mon chemin comme un reproche. J’ai peur de ce que je vais trouver en arrivant. Il n’y a plus d’insouciance, tu l’as écrabouillée, elle est en miettes. A chaque fois que je te croise, tu m’agresses : agios, frais de gestion, commissions du plus fort découvert, et plein d’autres laideurs.

Tu es devenu hideux, je suis désolée de te le dire, vraiment hideux. Tu me dégoûtes, tu t’insinues dans ma tête, méchant comme une teigne, invasif comme une colonie de punaises de lit sous Viagra.

Méfie toi, les mauvais comptes n’ont pas de bons amis.

J’attends le moment où je vais pouvoir te larguer, te plaquer, t’envoyer paitre, t’abandonner définitivement chez ta logeuse sans âme. J’attends patiemment. Au bout du compte, je resterai et tu disparaitras.

En attendant, va te faire voir. Toi et tes congénères, laissez nous tranquilles !

Pas cordialement. Avec toute ma détestation.

Signé Mollette

Destinataire : Mon compte bancaire professionnel, demeurant dans son agence bancaire, en ville.

PS : Figure toi que ça m’a fait beaucoup de bien de t’adresser un billet pas doux, à toi aussi ça devrait plaire, un petit billet. On devrait s’écrire plus souvent, tu deviendrais un compte postal