Mon cher, très cher,
Tant d’années à se supporter mutuellement, trop sans doute.
Au début, je t’aimais bien. C’est d’ailleurs faux, disons que je ne te détestais pas encore. Je t’ignorais, voilà plutôt le terme, nous vivions ensemble, sans états d’âme, dans une indifférence réciproque paisible.
Je n’allais pas souvent te voir, aucun mépris de ma part je te le jure, juste de l’insouciance.
Tu étais gras, j’étais joyeuse, pourquoi s’en faire ?
Puis j’ai remarqué que tu allais de moins en moins bien. Rien de grave, nous pouvions supporter un peu d’ombre.
Mais tu as pris une teinte rougeâtre, tu as maigri, et tu as commencé à faire la gueule tout le temps.
J’ai fait semblant de ne pas voir, j’ai dit que c’était passager, que tu remonterais la pente, que tu me fatiguais avec tes humeurs, que j’avais le droit de mener ma vie sans trainer un boulet.
Je t’ai négligé, pardon, en même temps tu es si peu aimable, si peu intéressant, c’est difficile de prendre soin de toi.
Au fil des années, je me suis inquiétée, vraiment.
J’ai tenté d’être à la hauteur, je me suis battue pour t’alimenter, pour te redonner des forces.
Peine perdue, tu as continué à dépérir.
Tu t’es bien foutu de moi n’est ce pas, tu m’as regardée m’agiter dans tous les sens sans même faire semblant d’aller mieux, comme un wagon plombé qui suit son rail cassé vers une voie de garage.
Aujourd’hui je vais de moins en moins te voir. Petite chose misérable qui se dresse sur mon chemin comme un reproche. J’ai peur de ce que je vais trouver en arrivant. Il n’y a plus d’insouciance, tu l’as écrabouillée, elle est en miettes. A chaque fois que je te croise, tu m’agresses : agios, frais de gestion, commissions du plus fort découvert, et plein d’autres laideurs.
Tu es devenu hideux, je suis désolée de te le dire, vraiment hideux. Tu me dégoûtes, tu t’insinues dans ma tête, méchant comme une teigne, invasif comme une colonie de punaises de lit sous Viagra.
Méfie toi, les mauvais comptes n’ont pas de bons amis.
J’attends le moment où je vais pouvoir te larguer, te plaquer, t’envoyer paitre, t’abandonner définitivement chez ta logeuse sans âme. J’attends patiemment. Au bout du compte, je resterai et tu disparaitras.
En attendant, va te faire voir. Toi et tes congénères, laissez nous tranquilles !
Pas cordialement. Avec toute ma détestation.
Signé Mollette
Destinataire : Mon compte bancaire professionnel, demeurant dans son agence bancaire, en ville.
PS : Figure toi que ça m’a fait beaucoup de bien de t’adresser un billet pas doux, à toi aussi ça devrait plaire, un petit billet. On devrait s’écrire plus souvent, tu deviendrais un compte postal