
Canard était un Tadorne Casarca, un gros canard orange aux rémiges et au croupion noirs.
Il vivait en Asie Centrale, et migrait en Asie du Sud pendant l’hiver, souvent en Malaisie, près de Johor Bahru.
Il aurait dû vivre en couple, comme tous ses congénères, mais il préférait rester seul.
Non pas qu’il ait vraiment « choisi » son mode de vie. De toute façon, aucune femelle ne le laissait s’approcher, sa réputation de gros canard pénible le précédait où qu’il aille.
C’est vrai qu’il était plus gros que la moyenne, plus orange que les autres aussi, et considéré comme pas très futé par la communauté. Il y avait sa queue aussi, qui avait pris une drôle de forme écrasée, rapport à une expérience stupide qu’il avait tentée un matin de printemps (mais il aurait préféré mourir plutôt que de raconter comment il s’était fait aplatir la queue et gondoler le bas du cul).
Canard n’était pas plus bête qu’un autre en vérité, le niveau d’intelligence de ses congénères n’était guère plus élevé. C’est juste qu’il ne réfléchissait pas avant de cancaner. Il proférait régulièrement des bêtises dignes d’une oie, ce qui avait contribué à sa mauvaise réputation. Canard, il est complétement oiseux, disait-on, et ce n’était pas un compliment.
Canard errait souvent aux abords du golf d’un complexe touristique pas loin du lac. Là bas, il y avait plein d’américains qui lui lançaient des morceaux de gâteau.
On avait beau se moquer tout le temps de lui, Canard se trouvait plutôt futé, il mangeait plein de miettes de gâteaux. Même si ça lui plombait le gésier, mais ça, il se gardait bien de le préciser quand il se vantait de ses bonnes fortunes.
Car il se vantait tout le temps, ça aussi, ça énervait les autres. Il claironnait partout qu’un jour, il partirait en Amérique, avec une famille de touristes tombés sous son charme. Dans une autre vie peut-être, disaient les autres en caquetant de rire entre eux … le charme de Gros Canard pénible, et puis quoi encore.
La vie s’écoula ainsi, pendant 15 ans, Canard ne renonça jamais à son rêve américain, il fallait bien clouer le bec aux imbéciles à plumes, et cancaner plus fort que les autres.
Puis il mourut, de vieillesse, un jour d’hiver banal, près du golf, sous les yeux indifférents des touristes américains.
Quand son âme volatile quitta son corps, il fallût choisir une réincarnation. Il fallait trouver une enveloppe charnelle d’un niveau quasiment équivalent, puisque Canard n’avait pas particulièrement amélioré son karma pendant son existence, hélas.
Son rêve américain fut exaucé, il revint à la vie à New York le 14 juin 1946, sous une forme humaine.
Sa mère, en découvrant son bébé à la naissance, fût immédiatement saisie d’une impulsion, une réminiscence mystérieuse, elle décida de l’appeler Donald.
Donald fût un bébé braillard et avide, puis un enfant capricieux et instable.
Devenu adulte, il fût rapidement catalogué comme un gros type prétentieux et pénible. Stupide également, il faut dire qu’il ne réfléchissait pas avant de parler, ce qui lui faisait proférer bien des âneries.
Des rumeurs courraient sur une partie écrasée et gondolée de son anatomie, et nul ne pouvait ignorer qu’il avait une teinte orangée prédominante, ce qui suscitait bien des railleries.
On avait beau se moquer tout le temps de lui, Donald se trouvait plutôt fûté. Il dilapidait la fortune familiale en se vantant de ses bonnes fortunes.
Car il se vantait tout le temps, ça énervait tout le monde. Il claironnait qu’un jour il dominerait le monde, car l’Amérique tomberait sous son charme.
Dans une autre vie peut-être, disaient les autres en pouffant de rire entre eux … le charme de ce gros con de Donald, et puis quoi encore.
Donald avait une revanche à prendre, il voulait clouer le bec aux imbéciles. A la surprise de tout le monde, il réussit à se faire élire Président des États Unis.
Sa présidence fût à son image, catastrophique et prétentieuse, provoquant stupeur et désolation.
Détail de l’histoire, personne ne comprit pourquoi il passait le plus clair de son temps sur un terrain de golf près d’un lac.
En tous cas, il ne fit rien pour améliorer son karma, obérant une fois de plus son évolution, décidément bien lente.
Image Natalia Trofimova